Le podcast de l'interview de Claire Dahyot Fizelier autrice principale de l'essai Ceftriaxone to prevent early ventilator-associated pneumonia in patients with acute brain injury: a multicentre, randomised, double-blind, placebo-controlled, assessor-masked superiority trial récemment publié dans Lancet Respiratory Medicine, est disponible ici ou sur vos meilleures plateformes de podcast.
Ceftriaxone to prevent early ventilator-associated pneumonia in patients with acute brain injury: a multicentre, randomised, double-blind, placebo-controlled, assessor-masked superiority trial
C Dahyot-Fizelier Lancet 2024 Jan 19: S2213-2600(23)00471-X. doi: 10.1016/S2213-2600(23)00471-X.
Question clinique :
Chez les patients présentant une lésion cérébrale aigue sévère nécessitant intubation et ventilation mécanique, une dose unique et précoce de ceftriaxone en comparaison à un placebo réduit-elle l'incidence de Pneumonie Acquise sous Ventilation Mécanique (PAVM) précoce ?
Historique :
· Les PAVM sont fréquentes chez les patients de réanimation et sont associées à une prescription accrue d'antibiotiques, ainsi qu'à des durées prolongées de ventilation mécanique et une probable augmentation de mortalité.
· Les patients cérébrolésés sont particulièrement à risque de PAVM précoce, probablement en raison de l'inhalation de micro-organismes avant l'intubation en situation d’altération de vigilance / coma. Il s'agit donc d'une population qui pourrait être particulièrement sensible à des stratégies préventives.
· La prévention des PAVM par décontamination sélective du tube digestif (SDD) a donné des résultats favorables dans de nombreux essais cliniques, et une analyse posthoc d'un important essai clinique récent (étude SIDICCU) a suggéré un bénéfice particulier pour les patients cérébrolésés. Cependant, l’adoption de cette stratégie reste limitée en pratique notamment en raison de craintes d’émergence d’agents pathogènes résistants aux antibiotiques.
· Il est fait l'hypothèse qu'une dose prophylactique unique de ceftriaxone chez les patients atteints de lésions cérébrales pourrait réduire l'incidence de PAVM précoce et, paradoxalement, réduire le risque de résistance aux antibiotiques grâce à une prescription globale réduite d'antibiotiques.
Méthodologie :
Essai de supériorité multicentrique, randomisé, en double aveugle, contrôlé par placebo
Réalisée dans 9 réanimations de 8 hôpitaux universitaires français
Les patients éligibles ont été randomisés (1:1) avec stratification par centre et score de Glasgow au moment de l'inclusion à l'aide d'une séquence générée par ordinateur avec des tailles de bloc aléatoires.
Les patients, les soignants, les évaluateurs et le statisticien de l'étude étaient masqués pour le groupe d'attribution
La taille de l'échantillon était basée sur une incidence moyenne de PAVM précoce de 30 % dans le groupe témoin et sur l'hypothèse d’une réduction de moitié dans le groupe intervention (15 %).
Ainsi, un échantillon de 354 patients permettait d’obtenir une puissance de 90 % (α 0,05)
Analyse en intention de traiter
Le protocole de l'essai, incluant le plan d'analyse statistique, a été préalablement publié
Population :
· Critères Inclusion :
o Lésion cérébrale aigue (traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral ou hémorragie sous-arachnoïdienne) avec GCS ≤ 12
o ≥ 18 ans
o Intubés depuis moins de 12 heures, avec une durée attendue de VM supérieure à 48 heures.
· Critères Exclusion :
o Intubation ≥48 heures après l'admission
o Sonde d’intubation avec aspiration sous-glottique des sécrétions
o Coma dû à une tumeur, une maladie infectieuse ou un arrêt cardiaque
o Hospitalisation au cours du dernier mois
o Allergie aux bêtalactamines
o Patient ayant reçu des antibiotiques au moment de l’admission
Réalisation :
· Nombre de patients screenés 2230
· 345 patients recrutés entre octobre 2015 et mai 2020, dont 171 ont reçu de la ceftriaxone et 174 un placebo
· 15 patients n'ont pas reçu l'intervention allouée ; 6 dans groupe ceftriaxone et 9 dans groupe placebo, et 11 patients ont retiré leur consentement ; 3 du groupe ceftriaxone et 8 du groupe placebo
· 319 patients ont été inclus dans l'analyse, dont 162 ont reçu de la ceftriaxone et 157 un placebo.
· Caractéristiques principales des patients à l’inclusion groupe ceftriaxone vs placebo :
o Âge : 56 contre 57 ans
o Sexe masculin : 49% contre 55%
o IMC : 26 contre 26 kg/m2
o AVC ischémique : 10 % contre 8 %
o AVC hémorragique : 22 % contre 21 %
o Hémorragie sous-arachnoïdienne : 38 % contre 45 %
o Traumatisme crânien : 30 % contre 26 %
o GCS :
§ 3 : 17 % contre 13 %
§ 4-8 : 60 % contre 65 %
§ 9-12 : 23 % contre 22 %
o Score SAPS II: 47 contre 48
o Temps écoulé depuis l'intubation trachéale : 7 heures contre 7 heures
o Soins de bouche à la chlorhexidine : 4% vs 4%
Groupe Interventionnel :
Injection intraveineuse unique de 2g ceftriaxone
Groupe contrôle :
Injection intraveineuse unique de Nacl 0,9%
Prise en charge commune dans les 2 groupes :
· Les seringues étaient préparées par des soignants appartenant à d’autres services de soins dans des seringues et tubulures de perfusion opaques car la ceftriaxone en solution est légèrement colorée
· Des mesures de prévention de PAVM étaient systématiquement mises en œuvre dans tous les services avant le début de l'essai, notamment le lavage des mains, l'élévation de la tête de lit à 30 °, la surveillance de la pression du ballonnet endotrachéal, les soins bucco-dentaires et la prévention des ulcères.
· Aucun des centres participants n'effectuait de SDD
· La PAVM était définie selon les critères de l'American Thoracic Society, qui s'appuient sur des critères cliniques, radiologiques et microbiologiques survenant au moins 48 h après le début de la ventilation mécanique. La PAVM précoce était défini comme une PAVM survenant dans les 7 jours de l’intubation.
· Un comité central d’adjudication composé de 2 réanimateurs seniors en aveugle du groupe d'étude, a examiné tous les cas déclarés de PAVM.
· Les patients ayant développé une PAVM (ou une autre infection) ont reçu une antibiothérapie curative selon les protocoles locaux, basés sur les recommandations en cours (RFE)
Résultats :
· Résultat principal
o Critère principal de jugement : l’incidence des PAVM précoces (du 2ème au 7ème jour post intubation) a été significativement réduite dans le groupe ceftriaxone : 14 % contre 32 % (HR 0,60 ; IC à 95 % 0,38 à 0,95)
· Résultats secondaires :
o Critères secondaires d’efficacité :
§ Augmentation significative du nombre de jours sans ventilateur ni antibiotiques, ainsi qu'une réduction significative de la mortalité et de l'incidence de toutes les PAVM dans le groupe ceftriaxone à J28 :
· Toutes les PAVM : 20 % contre 36 %
· Jours sans ventilateur : 9 contre 5
· Jours sans antibiotiques : 21 contre 15
· Mortalité : 15% contre 25%
§ Le pronostic neurologique (score mRS) était également amélioré à J28
§ Le nombre de jours en dehors de la réanimation et en dehors de l’hôpital était augmenté à J60 dans le groupe Ceftriaxone sans différence de mortalité à J60 (20% vs 30%)
o Critères secondaires de sécurité :
§ Il y a eu 90 événements indésirables graves, tous attribués à la maladie initiale et non à l'intervention.
§ 3 patients ont développé une infection à Clostridium difficile ; 1 dans le groupe ceftriaxone et 2 dans le groupe placebo
§ Il y avait 1 SARM et 1 EBLSE dans le groupe placebo
· Analyse de sous-groupes : non
Conclusion des auteurs :
« Chez les patients souffrant de lésions cérébrales aigue qui ont nécessité une admission en réanimation et une ventilation mécanique, nous avons constaté que l'administration précoce d'une dose unique de ceftriaxone diminuait le risque de PAVM, l'exposition à la ventilation mécanique, l'exposition aux antibiotiques, la durée de séjour en réanimation et à l'hôpital, ainsi que la mortalité, sans préoccupation de sécurité.»
Points forts :
· Essai multicentrique, randomisé et contrôlé, analyse en ITT
· Adjudication du critère de jugement principal
· Données démographiques basales équilibrées entre les groupes
· Le choix de la ceftriaxone comme antibiotique prophylactique était judicieux compte tenu de sa couverture microbiologique en contexte Français et de sa longue demi-vie
· Critères pragmatiques d’inclusion et d’exclusion ciblant bien la population de cérébrolésés
· L'hypothèse des auteurs selon laquelle la prescription globale d'antibiotiques diminuerait dans le groupe intervention a été confirmée
· Il s’agit de la 1ere étude retrouvant une efficacité de l’antibioprophylaxie sur les PAVM, plus facile à administrer que la SDD, et avec une amélioration des critères de jugement secondaires centrés sur le patient (mortalité…) à la différence d’autres essais
Faiblesses :
· D'autres moyens de prévention des PAVM n'ont pas été monitorés, il n'est donc pas possible de savoir dans quelle mesure cela aurait pu influencer les résultats.
· Le comité d’adjudication qui a examiné les cas suspects de PAVM n'était pas indépendant
· Le critère de jugement principal PAVM est une entité nosologique difficile à définir avec des facteurs confondants comme la fièvre, courante chez les patients atteints de lésions cérébrales. Le diagnostic de PAVM nécessitait également une microbiologie positive qui aurait pu être plus difficile à détecter suite à l'administration d'antibiotiques.
· Même si les résultats secondaires vont dans le mêmes sens, l’essai manque de puissance sur ces critères (mortalité…) dont les résultats restent donc en l’état hypothétiques
· La validité externe est limitée à la France et son environnement microbiologique
· Il est difficile de conclure qu’il n’y a pas de risque accru de BMR, car l’étude n’était pas suffisamment puissante pour ce résultat et il y a eu très peu d’événements. Cependant, la réduction de la prescription globale d'antibiotiques ne devrait pas augmenter les BMR et les études SDD avec un suivi plus long n'ont également pas confirmé cette préoccupation
L’avis de l’ANARLF :
· Bien qu’il s’agisse d’un sujet qui divise historiquement, il est de plus en plus difficile de s’opposer au signal constant selon lequel une courte cure d’antibiotiques prophylactiques chez les patients intubés en raison d’une lésion cérébrale aiguë est bénéfique et sûre.
· Cette étude bien exécutée fournit la preuve qu'une dose unique et précoce de ceftriaxone prévient les PAVM précoces chez les patients présentant des lésions cérébrales graves, ainsi qu'une diminution de l'exposition aux antibiotiques et à la ventilation, ainsi que probablement de la mortalité sans problème de sécurité.
Liens vers l’article, édito, recos, article de référence…
§ Etude ANTHARTIC: Prevention of Early Ventilator-Associated Pneumonia after Cardiac Arrest
§ Etude AMIKINHAL: Inhaled Amikacin to Prevent Ventilator-Associated Pneumonia
Responsable de l’analyse : Russell Chabanne / TheBottomLine
Date de l’analyse : 15/05/2024
Mots clés : Lésion cérébrale Aigue / Pneumonie Acquise Sous Ventilateur / Antibioprophylaxie
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